Pleurer pour un rien c’est déjà beaucoup- Chloé Lume
Éditions Sarbacane, février 2024, 328 pages
« Marchant dans la rue, je me dis que
je n’avais jamais trop songé encore
à ce que cache le corps des femmes.
Ce corps qu’on habille
pour le mettre en beauté
ou pour le camoufler.
Ce corps qui nous rend désirables
ou qu’on voudrait raboter.
Ce corps qui est notre vaisseau de chair
et qu’on habite avec plus ou moins de joie.
Le regard des autres s’arrête à la frontière
à notre barrière de peau
et ce qui se passe en dessous
n’appartient qu’à nous.
Les règles évidemment
ce sang qui s’écoule sans que personne ne le sache
(malheur si quelqu’un le voit !)
la douleur les caillots le muscle qui se contracte en silence
en secret.
Mais ça aussi.
Ces premiers temps
(quand ce n’est pas encore un bébé)
(quand personne n’ose en parler)
(quand le ventre n’a pas enflé).
… »
Les romans en vers libres ont le don d’exalter mes émotions. Clémentine Beauvais, Lisa Balavoine, Kwame Alexander, Sarah Crossan en sont mes nombreux coups de cœur. Ce procédé d’écriture offre une facilité de lecture tout en abordant des sujets très forts et c’est ça que j’aime en littérature ado.
« Ce soir, je ne dors pas.
Je pense à tout ce qui dans nos corps ne dort jamais :
*la pompe infatigable du cœur
qui pulse pulse pulse, s’emballe parfois par amour
pulse pulse jusqu’au jour-
*les poumons comme deux grands sacs de papier kraft qu’on gonfle et dégonfle, qui filtrent tout, qui s’encrassent
*les neurones les synapses toutes ces connexions qui font que je suis, je pense (et je ne dors pas)
*et puis l’infiniment petit,
ce qui digère ce qui détruit ce qui transporte
toute la grande usine de ce corps.
Il est à nous (à ce qu’on croit) mais il fonctionne
tout seul.
Et parfois dans le silence il développe un cancer.
Et parfois dans le silence il fabrique le nid d’un petit œuf.
Il ne dort pas, mon corps :
il a fabriqué le nid
la matrice de sang
(ce sang qui ne coule pas).
Et l’œuf, est-ce qu’il dort ? »
Chloé Lume nous parle ici de grossesse non désirée, d’amitié malmenée, de drame familial. Autant de sujets de réflexion conduisant notre protagoniste à faire des choix de vie. Le chemin est difficile, surtout à 17 ans, mais il lui importe de prendre les bonnes décisions, seule.
« Je vis ici et en ce temps
et j’ai le droit.
Mon corps, mon choix.
Chance insensée
(ou pas, qui peut savoir)
je n’ai même pas à me débattre avec ma foi. »
En explorant les caprices de l’amour et le regard de la société, Chloé Lume signe un ouvrage fort. Un roman délicat et émouvant qui, j’avoue, m’a tiré quelques petites larmes.
« Les petites sœurs peuvent
mourir.
Les filles tomber enceintes
et avorter
(ou pas).
La vie est pleine
de ces sorties de route
de ces déraillements imprévus
de ces accidents.
J’avais peur
et je ne peux pas dire
que la peur a disparu
mais je l’accepte
car c’est ça
vivre. »