Le colonel ne dort pas- Émilienne Malfatto
Éditions du Sous-Sol, août 2022, 112 pages
"Le colonel a oublié le moment exact où il a cessé de dormir. après quel mort, quel interrogatoire, quelle bataille, quel corps qui n'en était plus un. C'est venu peu à peu, lui semble-t-il."
Un huis-clos à couper le souffle pour parler du cauchemar de la guerre. En alternant deux récits, celui du colonel en vers libres, lui donnant une infinitésimale humanité, et celui du narrateur, extérieur à l’histoire, racontant l’horreur et la noirceur du conflit, Émilienne Malfatto nous glace le sang de réalisme.
« Qu’est-ce que vous croyez
j’aurais aimé moi aussi
aimé
être heureux
avoir la sensation de
vivre
et non de traverser l’existence comme
un champ de ruines
des ruines j’en ai trop vu trop
provoqué
si bien que mon âme s’est mise à leur ressembler
vous me direz cela vous est égal
mon malheur je l’ai cherché
et il n’est écrit nulle part que les victimes doivent avoir
de la sympathie
pour leur bourreau
j’ai depuis longtemps perdu toute prétention
à la sympathie
à l’amitié à
l’amour
à la pitié »
Le colonel ne dort pas est un texte qui se lit et se relit pour toucher au plus près l’intime des personnages. Les éléments sont absents, pas de date, pas de lieu, pas de nom, à chacun de planter son propre décor.
Je ne peux pas dire si j’ai aimé ou pas ce livre d’une noirceur extrême. Comme dans son premier roman, Que sur toi se lamente le tigre, l’écriture majestueuse est contenue en très peu de pages. Mais le sujet est si sombre, si violent qu’il en est douloureux, et qu’il m’a demandé une certaine retenue dans mes sentiments.