Réparer les vivants- Maylis de Kerangal
Verticales, parution janvier 2014, 281 pages
Cœur qui palpite à 100 000. Celui-ci c’est le mien et l’effet de ce livre sur moi, waouhhh j’ose le dire c’est un pur chef-d’œuvre, un immense coup de cœur. Et ça tombe bien, car de cœur, il en est question dans ce roman.
Simon, Johan et Chris, trois potes décident un dimanche matin de surfer. Les voilà partis affronter les vagues avec un froid glacial d’hiver. Sentir le contact de la mer, monter l’adrénaline en eux et prendre son pied, bonheur simple à leurs yeux. Au retour, Chris conduit, la fatigue le gagne et c’est l’accident. Simon qui n’est pas attaché est projeté à travers le pare-brise. Il est transféré dans le service du Docteur Révol anesthésiste-réanimateur mais hélas il est trop tard, Simon est dans un état grave.
« …voilà, ce jeune homme est mort ; or comprendre la réalité de cette mort est difficile pour les proches, l’aspect du corps trouble cette affirmation vous comprenez ? »
Le Docteur Révol reçoit les parents et le pronostic est sans appel, leur fils est en état de mort cérébrale. De là découle une rencontre avec Thomas Rémige, infirmier coordinateur des prélèvements d’organes et de tissus. Se posent alors les questions suivantes, qu’aurait voulu Simon ? Ses parents sont-ils prêts ?
« Bam. D’emblée, Thomas a posé sa voix sur la bonne fréquence et la pièce semble résonner comme un micro géant, un toucher de haute précision- roues du Rafale sur le pont d’envol du porte-avions, pinceau du calligraphe japonais, amortie du tennisman. »
Ce que j’ai apprécié le plus c’est le ton précis et réaliste de l’écriture de Maylis de Kerangal. OK on y parle de mort mais aussi de la vie. L’auteure nous fait pénétrer dans les recoins de la médecine, la chambre de réanimation avec toutes ses machines, le bureau du médecin Pierre Révol, les vestiaires de Cordélia Owl infirmière et puis la salle d’opération où sont prélevés les organes.
« Au sein de l’hôpital, la réa est un espace à part qui accueille les vies tangentielles, les comas opaques, les morts annoncées, héberge ces corps exactement situés entre la vie, et la mort. »
Nous faisons corps avec les médecins, parents, sœur, petite-amie, receveur.
Ce roman que l’on peut aussi considérer comme un témoignage frôle la perfection dans l’analyse des sentiments. Nous entrons dans l’intimité de ces parents en deuil, pleurons et relevons la tête avec eux. Et cette équipe de soignants qui surmonte la fatigue, les soucis personnels et le stress pour être à son maximum et se coordonner lors de cette prise en charge si spécifique, comme c’est respectueux. Le soutien psychologique apporté aux parents est remarquablement bien représenté.
« Ils se sont tenus par la main pour suivre Thomas Rémige et au fond, s’ils l’ont accompagné, s’ils ont obéi à cette autre déambulation dans le lacis de couloirs et de sas, s’ils ont accepté de passer toutes les écluses, d’ouvrir et de retenir de l’épaule toutes les portes, malgré ce météore noir qui venait de les percuter de plein fouet, malgré leur épuisement manifeste, c’est sans doute parce que Thomas Rémige avait eu pour eux un regard juste- ce regard qui les gardait du côté des vivants, ce regard qui déjà n’avait plus de prix. »
L’écriture est féminine, sensible, délicate qui nous fait nous sentir au plus près de l’action. Maylis de Kerangal aborde avec intelligence un sujet subtil qu’est le don d’organe. Elle rend un vibrant hommage à ces équipes médicales présentes en cet instant de mort dans le respect du défunt et cet instant de vie où battent tous les cœurs. Merci à elle.
« Il est placé au centre de la pièce- il est le cœur du monde. »
Pour terminer je n’aurai qu’une question : Avez-vous votre carte de donneur ?
Ce livre fait partie de la lecture commune d’avril du groupe de lecture Tic-Tac Books. Merci à mon amie Amélie pour cette magnifique découverte littéraire.